Masterclass N°3

Quelles sont les icônes du design culinaire ?

Quel pourrait être l’icône du design culinaire ?

Si l’on ne pouvait choisir ou élire qu’une seule forme, ça pourrait être la banane ! Ce design de la nature a un emballage qui protège la partie comestible. Cette peau permet de manger sans toucher ou souiller la partie que l’on va manger. Cela induit une gestuelle et créé un rituel pour manger ce fruit sans se salir les doigts.

Tendance actuelle, cet emballage est compostable, donc rien n’est inutile. La nature – comme souvent – a très bien conçu les choses… L’aberration sur ce produit déjà parfait, c’est de le vendre sur-emballé dans une barquette filmée, ou encore d’acheter une boite en forme de banane en plastique pour la protéger dans son sac…

D’un point de vu « produit de design », ça pourrait donner quoi ?

Le Babybel ! Même fonctionnement que la banane dans sa peau de cire que l’on ouvre pour manger le contenant.

Ces petits fromages ronds aussi reprennent le même principe du code couleurs qui donne des informations sur le goût. tire même le fil de la banane encore plus loin : une banane verte n’est pas mûre, une banane jaune est bonne à être mangée, une banane noire est passée.

On dit souvent que l’“on mange d’abord avec les yeux”, et ici, comme avec un paquet de bonbon, la couleur va nous aider à choisir : le Babybel rouge c’est l’original ; le jaune est à l’emmental ; le violet au cheddar ; enfin, le vert suit le code couleur des informations liées au bio.

Quel serait le premier produit que l’on pourrait qualifier de création de design culinaire ?

Sans avoir fait une étude historique précise, un produit que beaucoup d’entre-nous ont probablement vu une fois est la tablette de Toblérone, créée en 1908.

Une des matière culinaire idéale et la plus utilisée par les designers qui s’intéressent au culinaire est le chocolat. En effet, il a beaucoup de propriétés communes avec les matériaux habituels du design : il se fond, se coule, se moule, se taille, se sculpte, se brosse se découpe… des gestes et des techniques communes entre le designer et l’artisan et le chocolatier.

La tablette de Toblérone est vraiment reconnaissable parmi toutes les autres dans les étalages avec sa forme singulière, en forme de barrette – longue et pyramidale. Elle a finalement été peu copiée, car bien trop identitaire.

Cette forme n’a pas été un hasard. Ce chocolat est fabriqué en Suisse dans la région du Cervin, une montagne qui a cette forme de triangle.

Elle était représentée sur l’emballage jusqu’à récemment mais la production du chocolat ayant été délocalisée en Slovaquie. La législation Suisse a demandé à ne plus utiliser de symboles helvétiques sur le pack pour ne pas être trompeur.

La forme de la tablette est une évocation de cette montagne et elle restera. On voit ici que la suggestion a finalement presque plus d’impact et reste plus intemporel qu’une représentation fidèle.

Finalement qu’est-ce qui définie une « tablette » de chocolat ?

À contrario de la tablette de chocolat, les bonbons chocolat sont indépendants alors que les carreaux d’une tablette sont solidaires. Les bonbons sont généralement appréciés pour leur diversité de goûts / textures quand une tablette propose une expérience similaire et régulière dans son ensemble.

L’histoire du chocolat remonte à des milliers d’années avec les Mayas et les Aztèques qui l’utilisait comme une boisson divine lors de cérémonies religieuses. C’était assez similaire à un chocolat chaud, amer et épicé. Après la découverte de l’Amérique par les Européens le chocolat répand en Europe toujours sous forme liquide et il faut attendre les progrès technologique du 19ème siècle pour voir apparaître la production de chocolat solide : en 1847 la chocolaterie Fry & Sons en Angleterre mélange du beurre de cacao, du chocolat en poudre et du sucre et verse cette pâte dans des moules rectangulaires. L’industrialisation de la fameuse tablette, et sa production en série, bien régulière a commencé.

Cette forme de parallélépipède rectangulaire donnée au chocolat va révolutionner la manière de le consommer car on pouvait désormais le manger. Cette invention est sans doute devenue la forme courante de conditionnement du chocolat pour son côté pratique : pour la vente aux particuliers avec une vente au au poids de façon pré-calibrée (100/200 grammes) et un emballage facile et pour la ménagère qui cuisine de pouvoir calculer de tête le poids / le nombre de carrés à mettre dans sa recette avec un simple calcul mental.

Composée d’un nombre variable de carrés moulés et prédécoupé, la tablette devient à elle toute seul un rituel, avec la gestuelle de “casser un carré de chocolat”, équivalent à une portion.

Le chef Alain Ducasse a réfléchi a cette expérience de dégustation quand il a ouvert sa manufacture de chocolats : a-t-on toujours envie de manger la même quantité de chocolat ? Il part du principe que non et il propose une tablette avec des carreaux de différentes tailles pour aller avec différents moments ou envie : un tout petit carré avec son café, une barre entière pour combler une petite faim, etc…

Et comme il est installé à Paris, il s’inspire “simplement” de la forme biseautée des carreaux de métro.

On a vu dans l’épisode 1 que le design culinaire n’est pas du dressage. Sur un plat, serait la place du design ?

Le Big-Mac est le plat emblématique le plus “designé”. Dans le livre *Design culinaire*, paru en 2010 aux éditions Eyrolles, Stéphane Bureaux explique à Cécile Cau qu’il s’agit d’un vrai produit industriel de design, un véritable projet d’entreprise, conçu en terme de production et de consommation.

« L’exemple de Mac Donald est assez fascinante pour un designer culinaire. Il s’agit d’un vrai produit industriel de design, un véritable projet d’entreprise, conçu en terme de production et de consommation. En partant d’un sandwich qui existait déjà cette firme en a fait un succès planétaire, en tenant compte de toutes problématiques d’une fabrication à grande échelle, y compris celle de l’emballage, à la fois léger, isolant, transportable, empilable et communiquant. Mac Donald’s a également réfléchi au processus de fabrication d’un burger, qui permet à n’importe quel employé dans le monde, avec un minimum d’apprentissage, de fabriquer un goût et un produit identique. C’est loin d’être facile ! Sans juger les valeurs de l’entreprise, ni les qualités nutritives qui peuvent être critiquables, c’est intelligemment fait. » Stéphane Bureau

Ces produits devenus des « icônes » visuelles, Mac Donald fait même des campagnes de pu en faisant peu ou même apparaitre le nom de sa marque tellement ses produits sont entrés dans l’imaginaire commun, par leur formes, par leur design.

Peut-on parler de design d’expérience globale ?

Quand on pousse la porte du Mac Donald, toute l’expérience a été designée dans les moindres détails : la poignée, la couleur de la table et des assises, la tenue de la personne à la caisse, Ronald dans un coin la forme du cornet de frites, et même le parking qui culturellement aux US fait partie intégrale de l’expérience du restaurant !

Peut-on s’inspirer des modèles des grands groupes pour les décliner sur des formats plus vertueux ?

Tous les nouveaux entrepreneurs de la food – Bao Family, PNY, Big Mamma Group – qui ouvrent des restaurants à succès actuellement ont bien compris la citation du designer Charles Eames : « Les détails ne sont pas des détails, ce sont eux qui font le produit ». Tous ces entrepreneurs sont sortis d’écoles de commerce. Ils conçoivent leurs restaurants et leurs offres alimentaires dans le soucis de chaque détail, du beau, du bon et du bien. Ils intègrent parfaitement la notion de design et de conception, de l’assiette à une expérience globale pour le client.

Florent Ladeyn, chef installé dans le nord de la France ; il a une auberge à la frontière avec la Belgique et deux restaurants à Lille. Il a été connu car il a été finaliste de Top Chef en 2013 et il est aussi assez médiatisé car engagé dans une démarche responsable de ne travailler qu’avec des produits locaux, produits dans les Flandres. Par exemple, pas de café, pas de chocolat, pas de poivre,…

Qui dit nord dit frites ! Et qui dit travail bien fait dit vraies frites, vraies pommes de terres livrées tous les matins, pleines de terre, à éplucher, laver, tailler…

En observant le modèle de Mac Donald (il n’a dit lui même sur la scène du festival Omnivore Nord en 2022), il a faut le choix d’investir dans une cuisine centrale : il simplifie les livraison de son maraicher en un seul point. La terre ne salie qu’une seule cuisine et les tâches sont rationalisées pour ensuite livrer chacun de ses restaurant qui gagne un temps précieux sur la production de leur produit phare, en conservant une qualité irréprochable.

Tout système qui fonctionne peut donc être détourné pour en faire quelque chose de plus vertueux.
Le designer travailler sur la création de sens, il peut avoir par exemple ce type de réflexion.

Une création sur une table gastronomique peut-elle devenir une icône populaire, et à quel prix ?

Le coeur coulant au chocolat de Michel Bras arrive comme un OVNI sur les tables du restaurant familial de Laguiole en 1981. Certains convives ont d’abord cru à une bienheureuse erreur de cuisson et à l’époque, ce dessert à l’assiette est ensuite considéré comme révolutionnaire et précurseur, symbole d’une nouvelle cuisine audacieuse et créative. Un peu comme si le chef avait inventé “le nouveau soufflé”.

D’un point de vue technique, il est le résultat d’une longue réflexion et 2 années de tests et d’essais avant d’arriver à au résultat recherché par le chef : une pâte à biscuit à l’extérieur avec une ganache coulante à l’intérieur.

Dans le podcast “Goûts d’enfances” sur France Culture Michel Bras explique que cette recherche de texture, a été conduite par ses souvenirs en classe de latin. Pour faire passer les leçons ennuyantes, il portionnait les carrés de chocolat que sa mère lui avait donné pour ses goûters de la semaine. Voulant faire durer le plaisir, il les laissait fondre doucement dans sa bouche. Ainsi il avait eu tout le loisir d’observer la double texture du carreau de chocolat : à la fois tiède et froid, fondant sous la langue et croquant sous la dent. Toute la R&D pour retrouver cette sensation a été conduite par ce souvenir, cette sensation d’enfance et que pour lui, la cuisine et la technicité doivent être au service de l’expression des émotions.

En mettant au point ce dessert son but était de cueillir le coeur des enfants. Nous sommes tous ces grands enfants face à un gâteau au chocolat ! Il y a dans ce projet une relation très étroite avec la notion de madeleine de Proust. Sans doute la raison du succès de cette recette qui a conquis le monde car elle était très juste, sur tous les plans.

Dans les années 2000, on trouve des coulants dans les rayons de supermarché à 3€90 les 2 et sur toutes les cartes de restaurant. C’est hyper pratique et facile à faire puisqu’il s’agit de cuire précisément quelques minutes un gâteaux qui sorte du congélateur. Il devient ainsi le dessert préférés des Français et il s’exporte, sans que personne n’en connaisse vraiment l’origine : l’Aubrac !

Sébastien Bras continue de proposer ce dessert devenu culte à la carte et l’a décliné près de 150 fois dans interprétations sucrées ou salées comme l’incontournable coulant à l’asperge, sorbet estragon, touche d’amande. Il revisite cette recette pour laquelle il n’était pas possible de déposer un brevet ou quoi que ce soit, et finalement, c’est cette innovation perpétuelle qui en fait toujours la signature de la Maison Bras 40 ans après.

Sur différents niveaux de gamme, on a des icônes qui sont presque de la pop culture. Des produits industriels devenu populaires, connus de tous, tel un produit qui perdure a des codes / des fonctionnements / une logique.

Ces façons de penser et de faire peuvent inspirer à différentes échelles, en faisant évoluer les choses au plus près des valeurs et exigences d’une époque. Le tout est d’arriver à chaque fois à être juste.

Ce que le designer fait quand il a toujours en ligne de mire le sens qu’il donne à un projet, au delà même de sa forme. C’est sans doute cela qui fait la longévité d’un produit.

L’interviewée
MARION CHATEL-CHAIX, Directrice Artistique & Designer culinaire

Marion Chatel-Chaix est la fondatrice du Studio Exquisite qui met le design au service du culinaire depuis 2014.

Comme on lui pose toujours beaucoup de questions sur son métier, elle a décidé de créer «Hors d’œuvre» une série de formats courts pour décrypter ce qu’est le design culinaire.

Pour cette masterclass, elle a demandé à Cécile Poignant de lui me poser toutes les questions qu’elle souhaite.

L’interviewer
CÉCILE POIGNANT, Trend Forecaster

Cécile Poignant analyse les modes de vie contemporains et l’évolution des tendances socio-culturelles en détectant les signaux faibles en croisant des disciplines aussi variées que l’art, la médecine, l’alimentation. Elle décrypye pour les entreprises les comportements des consommateurs, les grandes tendances de demain et les enjeux d’avenir.

Dans le rôle du candide, elle se pose les mêmes questions que le commun des mortels pour mieux comprendre le rôle du designer culinaire.